Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

24 janvier 2005

Rejoindre, enfin, le camp de la démocratie en Irak (mis à jour)

Il y a fort à parier que dans les prochaines semaines nos medias devront faire un effort renouvelé de réflexion sur la grande affaire qui secoue le monde depuis plus de deux ans, c'est à dire, bien sûr, l'affaire irakienne.
Ces derniers temps en effet, ils ne se contentaient plus que d'insister sur deux aspects:
D'abord ce qu'on pourrait appeler le "chaos", sensé attester de l'échec de l'entreprise américaine. Impression, il est vrai inévitable mais assez fausse, donnée par les images répétitives d'attentats tous plus sanglants les uns que les autres. En second lieu, sur les vertus de la position française de non engagement, sensible, par exemple au moment de la libération de Chesnot et Malbrunnot.
Dans le même temps, je m'étonne (et j'y reviendrais dans une prochaine note) du silence à peu près total des médias français sur le scandale dit "pétrole contre nourriture", affaire dont se servent les néoconservateurs pour éclabousser l'ONU qu'ils abhorrent, mais dans laquelle, on a pu l'oublier, sont soupçonnés de corruption plusieurs personnalités françaises dont un ancien ministre, un ancien ambassadeur et un homme d'affaire notoirement proche du président Chirac.
Pour revenir sur le traitement de l'Irak dans "les 20 heures" (unique source d'information de dixaines de millions de français), rien n'est moins informatif que ces images, peu ou pas accompagnées de commentaires, qui ne soulignent en rien le fait qu'il s'agit presque toujours d'attentats anti-chiite beaucoup plus qu'anti-américain. Ce dimanche, au moins, Zarqaoui a enfin tombé le masque en disant ce que seuls les idiots ou les naïfs (plus nombreux) n'avaient pas encore compris. Beaucoup plus qu'à l'Amérique c'est à la démocratie qu' en veut le fondé de pouvoir d'Al Qaïda en Irak. Cette démocratie qui menace les sunites, ces ex-privilégiés du régime de Saddam, non seulement de se voir dépossédés par les chiites du pouvoir indûment monopolisé à leur profit par un régime tyrannique pendant des décennies, mais aussi d'apparaître non plus comme combattant une occupation étrangère, mais un régime irakien démocratiquement élu.
Maintenant faut-il croire aux promesses des dirigeants chiites de ne pas instaurer de république islamique à l'iranienne, c'est une autre histoire. La coalition chiite a en tout cas décidé, semble-t-il en accord avec Téhéran, qu'en cas de victoire, le prochain premier ministre serait un laïc. "Pas de turban au gouvernement!", semble être le mot de ralliement de ce rassemblement hétéroclite. Mieux, comme nous l'apprend le New York Times, sur 228 candidats à l'assemblée nationale, moins d'une demi douzaine sont des mollahs! Certes, on peut craindre que ce chiffre ne mesure pas leur influence réelle, mais en tout cas ce point n'est pas tout à fait conforme avec la présentation faite le plus souvent de l'avenir du pays en cas de victoire chiite.
Quand à la position française, elle a surement sauvé la vie à nos deux infortunés journalistes, et c'est tant mieux. Elle n'en devient pas morale pour autant. Il a d'ailleurs fallu attendre leur témoignage, peu suspect de partialité pro-américaine, pour que ceux qui, comme Michel Barnier, avaient osé parler de "resistance irakienne" mettent une sourdine à ces facheux détournement de sens, à défaut de faire amende honorable.
Il faudra bien maintenant que Paris songe à prendre position sur le défi électoral irakien. Et de la seule façon honorable qui soit: en prenant enfin position fermement en faveur des élections. Surtout en stigmatisant ceux qui, par la violence aveugle, se mettent en travers du processus, au lieu de tenter (désespérément) de les inviter autour d'une table de négociation.
On peut en effet s'attendre à ce que la "planète Ben Laden", comme dit Malbrunot, mette le paquet pour terroriser les électeurs. Mais après l'exemple démocratique ukrainien, palestinien (rendu possible uniquement par la disparition d'Arafat), il ne s'agit là que de l'étape suivante dans ce plan Marshall de la démocratie qui, pour périlleux qu'il soit n' en est pas pour autant totalement déraisonnable, voire hystérique.
Evidemment, tout ceci ne signifie en rien que la situation des Américains soit brillante en Irak. Ils y ont commis pratiquement toutes les erreurs possibles depuis leur entrée triomphale dans Bagdad. A Washington des voix de plus en plus "autorisées" envisagent l'évacuation du pays plus rapidement que prévu. L'autre option étant une réforme politiquement risquée de la conscription. Voilà pourquoi les Etats-Unis ont besoin de l'ONU et des Européens. Mais plus que jamais, ces élections sont un préalable à tout désengagement.
Il y a, certes, aux Etats-Unis aussi, des voix qui s'élèvent pour demander (ce que ne fait pas la France) un report des élections, au motif qu'elles alimenteraient la guerre civile au lieu d'aider les irakiens à prendre leur destin en main. Mais il s'agit de gens comme Brent Scowcroft, ancien conseiller de Bush père qui a toujours mis en garde contre l'intervention en Irak.
Le mois prochain, George W.Bush vient en Europe avec l'ambition de se réconcilier avec les européens, en commençant par les allemands (à qui, comme l'a toujours dit Condie Rice, il convient de pardonner). Rester sur l'Aventin chiraquien deviendrait dangereux pour la France, d'où la récente interview de Michel Barnier appelant à regarder devant pour une "nouvelle relation" franco-américaine. Malheureusement, il s'obstine à présenter le règlement du conflit israélo-palestinien comme un préalable à la démocratisation de l'Irak, alors que, on le sait pour les Américains ce n'est pas la paix qui apporte la démocratie mais précisément l'inverse.
L'autre erreur que pourrait commettre la France ( elle s'apprétait à la commettre) serait de confondre la défense de la minorité sunite avec le soutien à la guerrilla. Ne pas faire confiance aux nouvelles institutions fédérales irakiennes, très scrupuleuses en matière de respect des minorités, serait donner l'impression que la France règle une dette envers les anciens maitres de l'Irak. Cela qui nous ramène, justement, à cette affaire pétrole contre nourriture. A suivre.

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