Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

12 janvier 2005

Robert Manar à Beyrouth (à moins que ce ne soit l'inverse)

Vu, sur Proche-Orient Info, site que j'ai déjà eu l'occasion de recommander :Le secrétaire général de RSF reçu à Beyrouth par Al-Manar
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Accueilli par les grands démocrates du Hezbollah, Robert Ménard a prononcé cette phrase définitive: "Faire taire un média, car il est partisan, est contre la liberté d'expression, c'est pourquoi je suis venu à Beyrouth pour exprimer ma solidarité avec Al-Manar. Beaucoup de médias arabes sont partisans (dans le conflit avec Israël). Dans la logique actuelle, il faudrait les interdire tous'," Dit ainsi, cela semble en effet frappé au coin du bon sens. Merci Robert. Sauf qu'en réalité, M. Ménard vient de porter son soutien aux meilleurs continuateurs de l'antisémitisme du troisième Reich.
Sur la nature profonde de cette télévision on se reportera au travail de veille médiatique de Proche-Orient Info. Pour ma part j'ai eu l'occasion de dire ce qu'il fallait en penser dans un article de Libération. paru en décembre.
S'agissant maintenant de RSF et particulièrement de Robert Ménard il est detestable que ce trouble personnage continue d'incarner la defense de la liberté d'expression. Dans un autre article publié cette fois par le Figaro, j'ai démontré avec quel soin particulier et sustect cet individu choisissait ses combats. Les pages débat du Figaro n'étant pas facilement accessible en consultation sur le net, je ne peux vous renvoyer à un lien hypertexte. Voici donc à nouveau ce texte publié lui aussi en décembre. Je n'ai rien de plus à y ajouter. Sinon que le comportement de certains "confrères" ne cesse de m'affliger.

Al Manar et l’ordre mondial de l’information:

La liberté d’expression est un principe en réalité bien sujectif, ou en tout cas très relatif. La polémique au sujet de la chaîne de télévision du Hezbollah « Al Manar » en fournit une nouvelle preuve..
Ainsi, par exemple, l’association « Reporters Sans Frontière » (RSF) dont une des missions est en effet de veiller au respect de cette valeur chère aux démocraties a cru devoir prendre publiquement la défense de ce media, ou en tout cas, se faire l’avocat de sa demande de conventionement en France et, partant, en Europe.
L’argument de Robert Ménard, secrétaire général de RSF, était articulé autour de deux points.
Premier point :
-Il est impossible d’empêcher effectivement cette télévision d’être reçue par quiquonque dispose de l’équipement necessaire pour capter le satellite Eutelsat.
C’est malheureusement vrai, et vaut aussi pour les sites internet haineux dont les hébergeurs sont réfugiés dans des paradis numériques. De là à dire qu’Al Manar devait être conventionnée par le CSA, c’est à dire que sa réception devait être facilitée par nos autorités de surveillance, il y avait un pas. Un pas de géant que Robert Ménard n’hésita pas à franchir, appuyé sur son deuxième point :
-Certes nous dit-il, et je m’en désole, Al Manar propage un antisémitisme obsessionel, mais que voulez-vous, c’est le public arabe qui le demande et en est excité. Ne les braquons pas et nous avons une chance de les convaincre de diffuser chez nous une version « light ». Un antisémitisme light, en quelque sorte. Nous voilà bien rassurés.
RSF defend la liberté d’expression, quoi de plus normal direz-vous ? Même si on combat cette chaîne, si on souhaite sanctionner ses écarts avec la loi française. Sauf que RSF n’a ni le temps ni la possibilité de défendre tous les reporters qui veulent faire tomber les frontières (surtout celles des autres en l’occurrence). Elle choisi forcément parmi les causes défendables celles qui lui paraissent les plus justes ou les plus urgentes.
Pour évoquer un souvenir personnel, il y a près d’un an, l’accès à l’Assemblée Nationale me fut interdit par un vendeur de limonade islamiste aujourd’hui réfugié au Qatar, parce qu’il avait su profiter de l’indulgence ou de la naïveté d’un député communiste pour tenir au cœur du Palais-Bourbon une conférence de presse pour vanter son activité commerciale. Considérant que mes droits avaient été violés, que la République s’était souillée, j’ai saisi un certain nombre de personnes, dont Robert Ménard. Que fit-il ? Et bien absolument rien, contrairement à l’engagement qu’il avait pris devant moi.
Bien entendu, même si je crois que incident symboliquement inquiétant, il n’avait pas la gravité d’une affaire d’Etat aux multiples incidences diplomatiques, ce qu’a, à coup sûr, l’affaire Al Manar.
Qu’est-il arrivé à RSF ? Sans doute cette association, prompte à se mobiliser pour défendre la liberté de la presse des ou dans les pays peu ou pas démocratiques sous-estime-t-elle gravement les dangers qui minent notre démocratie de l’intérieur. Elle n’est pas la seule. Et ce qui est troublant c’est que beaucoup de militants qui prétendent, par ailleurs, lutter contre les excès de la mondialisation libérale sont eux aussi dans ce cas. Car veiller à ce qu’un islamiste ne puisse profiter de notre libéralisme pour prendre en otage un symbole républicain pour y faire ensuite régner sa loi, c’est exactement la même chose que se protéger contre certains effets non souhaitables de la mondialisation du marché du travail, des capitaux ou de l’information, par exemple contre les programmes faisant l’apologie de la haine raciale, du terrorisme ou véhiculant une image de la femme contraire à nos conceptions. Aux Etats-Unis, par exemple, on considère que le citoyen est assez grand pour faire lui-même le tri dans les sources d’information et qu’en dernier lieu la propagande raciste interesse peu de monde. Nous n’avons pas la même Histoire.
A la différence des pays anglo-saxons adeptes du « free speech » où la liberté d’expression est un droit fondamental ou constitutionel ne pouvant connaître d’entrave d’aucune sorte, la France a opté pour la répression de certains propos explictement racistes. D’où sa legislation particulièrement stricte que l’on peut discuter mais sur laquelle seuls les révisionistes voudraient revenir.
Cette autre « exception française » est aujourd’hui défiée par les possibilités des nouvelles technologies de l’information (internet, satellites etc..). Est-ce une raison, comme pour les autres défis de la mondialisation, de baisser les bras ? Ce serait manquer d’imagination ou de courage, voire des deux à la fois. Si l’on considère que la France ne doit pas se laisser imposer des modèles culturels sociaux ou fiscaux qui ne sont pas les siens, pourquoi, alors, se montrer plus conciliant quand il s’agit d’information ? Au nom du relativisme culturel faut-il, par exemple accepter en Europe un taux incompressible de sexisme ou d’antisémitisme ?
A ce propos, s’il est vrai que l’antisémitisme coule à nouveau de beaux jours dans la « rue arabe » comme nouveau dérivatif aux frustrations diverses, il est insultant, raciste presque, de considérer que les Arabes, ou les musulmans qui vivent en Europe sont naturellement complaisants envers cette propagande immonde. Alors que chacun se plait à rappeler qu’il ne faut pas « importer le conflit du Proche-Orient », comment interprêter les hésitations du CSA et du Conseil d’Etat autrement que par l’exercice de pressions politiques ?
Le revirement de la haute juridiction doit néanmoins être salué et mérite d’être fièrement assumé
Car entre le repli sur soi et l’ultraliberalisme, là aussi une autre voie est possible. D’autant qu’en la matière, la concurrence internationale n’est ni indispensable ni réellement menacée. On peut envisager, sans heurter le pluralisme, des protections contre des idées violentes, racistes, sexistes, homophobes qui menacent nos modes de vie et la coexistence entre des communautés d’origines et de cultures diverses.
En s’organisant entre européens on peut négocier ou à défaut contraindre les satellites qui diffusent ces chaînes. Au lieu de cela, contre sa tradition, la France donne le mauvais exemple. Mais cela suppose de s’exposer à des mesures symétriques de rétorsion contre les programmes français dans le monde arabe.
Car il faut hélas constater que ces passions viennent aujourd’hui, presque toujours du monde arabo-musulman. Dire cela, c’est plus qu’un outrage au politiquement correct, c’est refuser de tomber dans le piège du discours sur le « néo-colonialisme » ou « l’ordre occidental de l’information ». C’est enfin s’obliger à donner un cadre plus contraignant, plus exigeant à la « politique arabe de la France »

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