Le blog de Sylvain Attal/ "La vie n'imite pas l'Art, elle imite la mauvaise télévision." W.Allen

12 mars 2007

Chirac, ou le legs du conformisme français


Il n'y aura donc pas de sortant dans cette élection de 2007. Ce fut déjà le cas en 1995. L'incertitude qui plane sur cette présidentielle tient au fait que nul ne se bat pour revendiquer le bilan, tant il est clair que cette responsabilité est depuis 1981 un fardeau synonyme de défaite. On peut, de ce point de vue, faire un parallèle entre le "droit d'inventaire" façon Jospin et le droit à la différence invoqué par Sarkozy. Certes, tous les deux ont (ou ont eu) besoin d'un soutien dosé de la part du vieux président, mais encore davantage de bien signifier qu'ils ne sentaient en rien des incarnations de la continuité. Troublante, tout de même, la façon dont, depuis presque trente ans la majorité sortante est soit systématiquement battue aux élections, soit obligée de chercher un ressourcement, pour ne pas en supporter l'affligeant bilan. En 1995, Jospin qui avait dirigé le PS et été plusieurs fois ministre s'en sortit dignement mais fut tout de même battu par le Chirac de la "fracture sociale". Pour Sarkozy la subtilité suppose d'incarner la rupture, même "tranquille", sans avoir à supporter le poids du bilan, en particulier en ce qu'il a de plus négatif: chômage, compétitivité (il a été ministre de l'économie et des finances), mais aussi les désordres sociaux profonds de la société française révélés par la crise des banlieues et celle du CPE: ghettoïsation, place de l'Islam dans la République (dans lequel le ministre de l'intérieur a sa part de responsabilité). Ces échecs touchent à l'indécrottable conservatisme français qui privilégie systématiquement ceux qui ont (une naissance, un emploi, un statut) aux dépens de ceux qui n' ont pas (jeunes déclassés, chômeurs, enfants de l'immigration qui sont souvent les deux). C'est cela le véritable mal français dont sont co-responsables toutes les gouvernement français de droite ou de gauche depuis trente ans. Je mets à part les quelques réformes "sociétales" historiques de la gauche en 81-82, et celles de la droite pendant quelques mois en 86-87 pour rectifier les erreurs ou excès de la gauche en économie. A ces deux exceptions près toutes les tentatives venant aussi bien de gauche que de droite pour réformer ou moderniser le "modèle français" se sont fracassées sur le mur du conformisme et du conservatisme français. C'est une des principales explication du "phénomène Bayrou": sa percée coïncide avec une séquence pendant laquelle Sarkozy et Royal, qui étaient encore à l'automne dernier deux incarnations de la rupture et du renouvellement (et oui, du Blairisme n'en déplaise...), ont jugé important de se rapprocher de leurs "origines", chiraquiennes pour l'un, socialistes "éléphantesque" pour l'autre. Pour l'instant le premier résiste mieux au grand écart que l'on observe plutôt d'habitude entre les deux tours du scrutin. Il est aidé en cela par le penchant très marqué à droite de la société française, par son expérience pmersonnelle plus grande et par les souvenirs des épisodes conflictuels avec le chef de l'Etat ("souvenez vous seulement de l'insolence: " moi, je ne veux pas réparer des serrures à Versailles "). Quand on l'écoute il émane de lui une certaine cohérence de fond, celle d'une identité assumée (la droite) qui lui permet de mordre -qui s'en plaindra- sur l'électorat du FN. Ségolène Royal, elle, n'a guère convaincu en tentant de concilier le courage qui fut celui d'une gauche responsable, de Mendès à Rocard en passant par Mauroy, qui lui dicta de commencer son discours de Villepinte par la nécessité de lutter énergiquement contre la dette, avec la frivolité de la gauche archaïque et démagogique qui l'obligea à teinter son discours de promesses de dépenses incompatibles avec le premier objectif et que les Français ont déjà payé très cher.
Pour en revenir à Chirac, il est symptomatique que personne n'ait voulu (à l'exception, hélas encore, de Le Pen) le malmener hier soir . Ni Royal, ni les sarkozystes (car, c'était habile, on n'entendit pas Sarkozy qui se rerservait le lendemain matin pour le ton plus feutré de la radio...), ni même Bayrou qui essaie de rééditer le même coup impromptu que Chirac en 95. Respect du vieil homme qui reconnaît implicitement ne plus avoir les moyens de livrer un nouveau combat? Sans doute. Pourtant, il est clair que, dans le bilan de Chirac, les aspects positifs peinent à dissimuler l'essentiel: une coupable habitude prise dès sa jeunesse à travestir la réalité, de bercer les Français d'illusions ou d'engagements intenables, bref une forme de démagogie revendiquée et impénitente qui lui fit privilégier la conquête du pouvoir à son exercice.
Une assertion prononcée par le président hier soir revient sans cesse dans ma tête et résume cela mieux que tout. Celle selon laquelle la France ne serait pas un pays comme les autres. Qu'est-ce que cela signifie? Certes, il y a la beauté incomparable de ses paysages, la place unique en effet qu'y occupe encore le terroir...et le fait que chaque pays est singulier. Mais s'il s'agit, comme je le crains, d'une nouvelle flatterie destinée à encourager les mauvaises inclinations conservatrices du peuple français, à se gargariser par exemple d'un modèle social injuste et inefficace, bref à bout de souffle et qui nous condamne au déclin...alors Chirac aura immanquablement manqué, aussi, sa sortie.
Nous avons déjà eu l'avertissement de 2002, dont aucune leçon ne paraît avoir été tirée. Le PS aurait pu, par exemple, mettre à profit ces cinq ans d'opposition pour organiser son entrée dans le XXIème siècle. Je ne sais pas très bien comment, mais il faut pourtant espérer que la passation de pouvoir à une autre génération et/ou à un autre sexe (mais rien de tout ceci n'est, en soit, suffisant) fournisse aussi l'occasion d'un redressement. A moins qu'il ne soit trop tard et que, comme l'écrit Jean Michel Apathie , "fatiguée, épuisée par des années d'impérities, la France (ne) parai(sse)mure, malgré elle, pour une aventure politique qui, un jour pourrait aussi se transformer en accident démocratique."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

A noter la remarque très pertinente de Marie-France Garaud, ancienne conseillère de Georges Pompidou puis de Jacques Chirac dans les années 70, qui a fustigé hier le mea culpa du président de la République sur le « non » français au référendum sur la Constitution européenne. « Que le président de la République regrette une décision du peuple français qui n'était pas celle qu'il avait souhaitée, peut-être, mais qu'il la condamne, c'est proprement inadmissible », a-t-elle lancé sur France Inter. Comme quoi Chirac part sans avoir rien compris.